"Si nous étions responsables, nous éviterions la sortie de la Grèce de la zone euro"
09 JUILLET 2015
Au micro d'i>Télé, le président du MoDem a réaffirmé ce soir la nécessité d'éviter la sortie de la Grèce de la zone euro, tout en préconisant plusieurs pistes pour réformer l'État héllenique.
François Bayrou, vous êtes maire de Pau et patron du MoDem, bonsoir.
Bonsoir.
Merci d'être sur i>Tele ce soir. On n'en sait toujours pas plus sur les propositions qu'Alexis Tsipras doit fournir à l'Europe. Pensez-vous qu'il joue avec les nerfs de ses partenaires européens, ou a-t-il simplement du mal à boucler l'ensemble des réformes qu'il doit proposer à l'Union européenne ?
Il est le Premier ministre grec dans une situation qui est très difficile, puisqu'il a fait sa campagne électorale et son référendum sur le thème du « non à l'austérité ». Or, il se trouve aujourd'hui dans l'obligation de faire adopter un certain nombre de mesures qui doivent être des mesures sérieuses et qui, forcement, vont être interprétées par les Grecs comme le contraire de ce qu'il avait promis. Il est donc, de ce point de vue là, dans une grande difficulté. Autrement, il obtient ce qu'il a formellement annoncé vouloir éviter, c'est-à-dire la sortie de l'euro. Vous voyez donc à quel point il se trouve dans une impasse.
Pensez-vous que concrètement, il y aura ces propositions ? Il y a des scénarios qui estiment que les Grecs seraient sur le point de préparer activement leur dépôt de bilan et donc leur retour à la Drachme. Croyez-vous à ces hypothèses qui semblent être farfelues ?
Je crois à toutes les hypothèses parce que cela fait maintenant quatre mois que l'on nous annonce deux fois par semaine le sommet de la dernière chance, quatre mois que l'on nous fait miroiter le fait que la situation est sur le point de s'arranger ou au contraire qu'elle empire. Or, en réalité, il y a deux ou trois questions qui se posent et qui sont essentielles.
Il y a des gens qui pensent qu'il est mieux pour la Grèce de sortir de l'Euro. Valérie Giscard-d'Estaing était hier mon invité et il le disait.
Je souhaite que l'on n'ait pas à vérifier cette hypothèse. Parce que ce que je crois moi – c'est rare que je sois en désaccord avec VGE – c'est que cela produirait un épouvantable chaos.
En Grèce ou en Europe ?
D'abord en Grèce et ensuite en Europe. Parce que c'est la même maison. On ne peut pas mettre le feu à une pièce de la maison sans que ce feu se répande d'une manière ou d'une autre dans le reste de la maison. Je pense que ce serait un très grave accident pour nous et un dramatique accident pour les Grecs. Cette déstabilisation, ce désordre, que signifierait la succession d'évènements entrainés par la sortie de l'euro, serait une catastrophe externe et interne. Si j'avais le choix, je préférerais qu'on l'évite.
On ne peut l'éviter que si M. Tsipras décide d'aller vers une direction différente de celle qu'il avait promise il y a encore huit jours. Vous voyez là à quel point nous sommes devant une situation politiquement tragique pour ceux qui ont joué avec la vérité.
Que pèse la France dans ces négociations ? Le tandem franco-allemand a-t-il tenu le choc selon vous ? Le Président François Hollande est-il à la hauteur de la tache qui lui incombe ?
Premièrement, est-ce que le tandem franco-allemand existe, j'espère que oui. Il ne peut pas en être autrement puisque l'Allemagne ne peut pas être en première ligne toute seule et ne peut pas avoir un autre interlocuteur que nous dans la zone euro. Un interlocuteur qui équilibre ou qui paraît équilibrer ses choix.
Deuxièmement, est-ce que la Chancelière allemande et le Président de la République française savent exactement où ils vont ? J'ai des points d'interrogation à cette question.
Vous pensez qu'ils ne le savent pas ?
Je pense que M. Schäuble est très ferme, je pense qu'Angela Merkel ne veut pas apparaître comme la responsable de l'échec et je pense que François Hollande joue un double jeu qui est un jeu de politique européenne et en même temps un jeu de politique intérieure. Il essaye de rester le plus proche possible de la gauche, tout en ne se coupant pas de ses partenaires européens, c’est la raison pour laquelle, ce qui me frappe le plus, c’est que François Hollande ne s’adresse pas aux Français. On est dans une période de crise aigüe, la plus grave crise que l’Union européenne et la zone européenne aient rencontrée depuis leur création. On est dans un moment où tous les Européens et tous les citoyens français s’inquiètent, et à juste titre, et que dit le Président de la République ? Rien qui ne soit audible par les Français. Il aurait dû venir sur un plateau comme le vôtre ou vous inviter à l’Élysée pour simplement s’expliquer devant les Français de ce qu’il perçoit, des risques et des chances de la ligne qu’il va suivre. S’il l’avait fait, il aurait marqué de son empreinte les négociations européennes, il ne l’a pas fait, et à mon sens, pour moi, il n’est pas en phase avec ce que la fonction présidentielle exige. La fonction présidentielle est d’une certaine manière une fonction de guide pour les citoyens, une fonction d’orientation pour les citoyens. Et si vous ne leur parlez pas, il n’y a pas de chance pour que vous les orientiez.
Est-ce que le couple franco-allemand connaîtra des lendemains difficiles après cette crise, quelle qu’en soit l’issue ?
Non, je pense que le couple franco-allemand est condamné à s’entendre ou en tout cas condamné à travailler ensemble au pilotage de l’Union européenne. Alors l’un apparaît comme très fort du moins du point de vue commercial, industriel et budgétaire, l’autre apparaît comme faible et faible est un mot prudent du point de vue commercial : notre commerce extérieur s’effondre ; et évidemment, ça ne fait pas un couple équilibré. Nous voudrions que ce soit un couple équilibré, mais ils sont condamnés et obligés de travailler et vivre ensemble. Nous sommes, responsables français et allemands, condamnés et obligés à travailler ensemble.
Vous êtes donc plutôt pessimiste sur la conclusion d’un accord entre aujourd’hui et dimanche, avec le sommet des 28 chefs d’État ?
Si nous étions responsables, les dirigeants européens, et les dirigeants grecs, nous éviterions la sortie de l’euro. Si nous étions solides, nous nous dirions : nous sommes une union, il y a un des pays qui est en grave difficulté, comment faire pour le sauver, qu’il retrouve un équilibre, qu’il n’entraîne pas le reste de notre équipe vers la chute ? Je crois que nous pourrions y arriver. Rien n’est impossible dans cette affaire, on peut d’abord allonger la durée de remboursement de la dette, sans supprimer la dette. Vous voyez qu’il y a une nuance entre les deux. On peut rendre à la Grèce des instruments essentiels qui lui manquent : des cadastres, par exemple, il n’y en a pas en Grèce. Or nous, nous savons dessiner des cadastres en quelques mois, puisque nous avons des satellites qui permettent de repérer chaque parcelle, et l’État grec peut intervenir. Il faudrait également une fiscalité qui soit à peu près solide et qui réussisse à recueillir l’impôt qu’elle n’arrive pas à recueillir aujourd’hui, une tentative pour exclure les paiements en liquide, ce qui permettrait de faire rentrer des taxes... Vous voyez que tout cela n’est pas au-delà des forces humaines, mais cela signifie de la volonté des deux côtés, et une entente, qui pour l’instant n’existe pas.
Un mot de la loi Macron qui a été adoptée cet après-midi de façon définitive par l’Assemblée, après un troisième 49-3, est-ce une loi qui va dans le bon sens ? Est-ce que les quatre mois d’embrouillamini autour de cette loi en valaient la peine ?
C’est une loi qui va petitement dans le bon sens. C’est une loi qui va à petits pas dans une direction que l'on devrait approuver. Mais ce qui est choquant dans la loi Macron, et tout le monde le voit, c’est qu’il ait fallu quatre mois, des centaines d’heures de débats pour adopter ce qui pour l’essentiel est un catalogue de petites mesures. Cela prouve que nos institutions parlementaires en particulier sont complètement inadaptées à des décisions rapides et fortes comme il faut les prendre, et le débat lui-même est un jeu de postures. Vous avez vu l’opposition s’opposer à des mesures qu’en fait elle réclamait, simplement parce que c’était l’autre camp. Il y a même des responsables de l’opposition qui ont fait du vote de la censure contre un texte qu’ils approuvaient, un élément de positionnement. Tout cela, évidemment, est complètement dépassé, ça n’a pas de sens, tout le monde voit que ce ne sont pas un véritable débat et de véritables décisions qui sont prises et c’est un symptôme de plus de l’épuisement de nos institutions.
Autre débat, extrêmement important aujourd’hui à l’Assemblée et au Sénat, c’est celui qui concerne l’orientation budgétaire, évidemment, est-ce que la France fait assez en matière de réduction des déficits publics ? Je me doute de votre réponse.
La vraie question est : est-ce que la France respecte les orientations qu’elle se donne ? Si on regardait la réalité des chiffres, et la courbe de ces chiffres, on s’apercevrait qu’il n’y a pas de véritable amélioration de la situation budgétaire de la France. Si on reprend les promesses présidentielles au moment de l’élection de 2012, c’étaient d’ailleurs les mêmes qu'en 2007, dans des camps différents, on s’aperçoit que l’on a « promis, juré, craché » que l’on reviendrait au-dessous de 3% dès 2015 ou dès 2016, or évidemment il n’en sera rien. On avait promis qu’on descendrait très au-dessous de 4%, et on est à plus de 4 % !
Et tout cela vous le voyez bien, c'est un signe de l'impuissance publique française et de l'impuissance politique française des majorités successives qui se font élire sur des promesses péremptoires et qui dans la réalité ne changent pas grand chose, ce qui entraine le fait que le pays s'enfonce dans une lente, et parfois accélérée, récession qui, à travers du temps, montre notre échec collectif.
Un dernier mot François Bayrou, sur cet appel déjà signé par un certain nombre de personnalités , dont Nicolas Sarkozy, publié par « Valeurs Actuelles » pour ne pas transformer les églises en mosquées. Est-ce un appel qui a du sens selon vous ?
Il y a eu une phrase malheureuse …
De Dalil Boubakeur.
… que j'ai moi même condamnée et sur laquelle je me suis exprimé. C'est une phrase qui évidemment, symboliquement, était de la nitroglycérine. Pour moi, il n'est même pas imaginable que l'on pose cette question de cette manière. Je crois que l'auteur de cette phrase, M. Boubakeur, a retiré cette phrase et s'est exprimé. Est-ce qu'il est nécessaire de relancer ce sujet et d'en faire encore une fois un point où l'on essaie de faire flamber un certain nombre de ressentiments et de passions ?
Si l'on était raisonnable, on ne le ferait pas. Si l'on s’intéressait à l'unité du pays, on ne le ferait pas. C'est un pays qui a besoin que l'on défende clairement et calmement son identité, ce qu'il est, et le fait qu'on veuille la paix civile chez nous.
Vous ne le signerez donc pas ?
Je signe très rarement des appels, jamais des pétitions, j'essaie d'être le plus clair possible. J'en ai signé une sur la réforme du collège parce que j'avais été de ceux qui l'ont écrite.
Merci beaucoup François Bayrou d'être venu sur i>Télé ce soir pour nous parler de la Grèce et de la politique française.
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